• Alix Mathurin : Entre identité et héritage, la naissance de Kery James

    16 mai 2025

Un artiste à l’identité plurielle : des origines aux engagements

Avant d’être Kery James, l’homme naît sous le prénom Alix Mathurin le 28 décembre 1977 aux Abymes, en Guadeloupe. Il grandit toutefois en métropole, dans la banlieue parisienne d’Orly, après que sa mère, confrontée aux défis liés à l'immigration, décide de s’y installer avec ses enfants. Son parcours est marqué très tôt par une double identité : d’un côté, celle d’un enfant des Antilles françaises, porteur d’une mémoire coloniale refoulée par le pays qui l’accueille ; de l’autre, celle d’un citoyen des quartiers populaires, vivant au cœur d’une France parfois hostile à sa jeunesse issue des migrations.

C’est dans cette complexité identitaire qu’émerge le besoin d’une réinvention. Le choix d’un nom de scène est alors bien plus qu’une formalité dans le rap : il devient une affirmation, une façon de s’inventer un territoire d’expression propre, affranchi des lourds stéréotypes sociaux et culturels. Kery James n’est pas choisi au hasard : c’est l’alliance d’un prénom et d’un patronyme chargés de significations multiples.

Pourquoi "Kery" ? Une influence héritée du reggae et du spirituel

Pour comprendre le prénom "Kery", il faut plonger dans les références qui ont marqué l’artiste à ses débuts. Dans les années 1980-1990, la culture reggae et rasta influence fortement de nombreux artistes issus des diasporas africaines et caribéennes. Le reggae ne se limite pas à un courant musical : il véhicule un message spirituel, souvent inspiré du mouvement rastafari, sur la libération des peuples opprimés et le retour à des racines ancestrales. Kery James, qui adopte également l’islam au cours de sa vie, semble partager avec le reggae cette recherche d’un idéal de justice et de rédemption. Certains observateurs estiment que "Kery" pourrait évoquer cette dimension spirituelle.

Par ailleurs, des similitudes phonétiques avec des noms bibliques – par exemple Kyrah ou Kerry – suggèrent que ce choix n’est peut-être pas qu’un hasard mais s’inscrit dans une symbolique à la croisée des influences religieuses et culturelles. Kery est à la fois court, percutant, et universel : il porte en lui une force d’évocation qui dépasse les frontières.

Et pourquoi "James" ? Un hommage subtil à l’Afrique et à l’Atlantique noir

Le "James" de son pseudonyme interpelle également. Ce choix résonne avec l’histoire de l’Atlantique noir, cette vaste culture transnationale qui s’est construite dans le sillage des diasporas africaines – du commerce triangulaire aux migrations modernes. Le prénom James, d’origine anglophone, renvoie au monde afro-américain et, par conséquent, à une mémoire collective marquée à la fois par l’oppression et la résilience.

L’un des éléments distinctifs du pseudonyme de Kery James est sa capacité à insinuer un pont entre cet héritage et celui de la banlieue française. James devient alors un clin d’œil au métissage culturel qu’il revendique : en investissant ce nom "étranger" au cadre français, l’artiste semble déclarer, non sans une pointe de provocation, son appartenance à cette communauté culturelle globale. C’est aussi un hommage à des figures célèbres de l’histoire afro-descendante comme James Baldwin, écrivain et militant américain pour les droits civiques.

Un pseudonyme pour transcender son passé

Le choix de ce pseudonyme ne peut être dissocié des étapes décisives de la vie de Kery James. Avant de porter ce nom, il était encore Alix Mathurin, évoluant dans le premier collectif de rap français qui l’a révélé : Ideal J. En ce temps-là, il se faisait appeler Daddy Kery, un nom typique des débuts du rap français fortement influencé par la culture américaine. Mais au tournant des années 2000, tout bascule. Kery James fait alors le choix de se reconstruire, sur le plan humain et artistique, suite à de multiples épisodes de violences dans son entourage et d’une perte majeure : la mort tragique de Las Montana, son ami et membre d’Ideal J.

Ce moment marque une cassure et une renaissance. Kery laisse tomber le "Daddy" et dédie son énergie à un rap plus introspectif et spirituel, à la fois poétique et politique. En adoptant cette identité de Kery James, il rompt également avec la caricature associée parfois aux débuts du rap : celle d’un jeune homme simplement révolté, en quête de validation. Désormais, c’est un homme de convictions profondes qui s’exprime, conscient que ses mots peuvent bâtir ou déconstruire les imaginaires collectifs.

Un nom, un porte-voix

Kery James est bien plus qu’un pseudonyme : il incarne un projet de vie, un engagement. Ce nom est une déclaration d’exister non pas malgré la société qui l’a vu grandir, mais à partir de celle-ci, en transformant ses failles en puissance créatrice.

En le portant, Alix Mathurin revendique une double mission. Celle de ne jamais oublier l’héritage qui l’a façonné, à commencer par celui des luttes antillaises et africaines contre le colonialisme, mais aussi celui des banlieues françaises traversées par les inégalités sociales. Et celle de porter ce poids avec dignité, en promouvant un art profondément humaniste, capable de toucher l’universel tout en racontant des histoires enracinées dans des contextes locaux.

Conclusion ouverte : la mémoire au service de l’action

Le choix du nom Kery James témoigne d’une cohérence rare entre l’identité personnelle, culturelle et politique de l’artiste. Si le rap est l’art d’écrire sa propre histoire dans un monde qui tente souvent de nier votre regard, Kery James, lui, nous a montré que le choix des mots – qu’ils soient dans un texte ou dans une signature – n’est jamais anodin.

Aujourd’hui, ce pseudonyme est devenu un étendard, celui d’un artiste qui n’a pas peur de parler vrai, de questionner et de renverser les codes. Et vous, que vous inspire ce nom maintenant que vous en saisissez les enjeux ?

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