• ACCES par Kery James : éducation engagée et justice sociale, au-delà des mots

    23 octobre 2025

Une association née contre le fatalisme social : genèse d’ACCES

On connaît Kery James le rappeur, le poète, celui dont les vers claquent comme un rappel à l’ordre dans la société. Mais celui qui, d’album en album, ne cesse d’appeler à la responsabilité individuelle et collective, n’a pas confiné son engagement à la musique : il l’a transposé dans l’action concrète, sur le terrain, avec la création de l’association ACCES (Aide et Collaboration à la Création d’Etudes Supérieures) en 2008. Un acronyme qui sonne comme une promesse : rendre possible ce qui paraît impossible, ouvrir les portes verrouillées à toute une génération. À l’origine, il y a une indignation profonde et la conviction que dans les quartiers populaires, le fatalisme reste l’ennemi numéro un. « L’illettrisme, la précarité, l’assignation à résidence sociale : tout cela n’est pas une fatalité, disait Kery James dans Le Monde en 2019. Il faut ouvrir l’horizon. » C’est dans cette perspective que naît ACCES, à la suite de sa propre expérience : la fuite de Cuba à 7 ans, la banlieue, la confrontation avec les réalités sociales et le sentiment d’injustice éducative.

Pourquoi l’éducation ? Les convictions derrière ACCES

En créant ACCES, Kery James ne cherche pas à faire la charité ou à « sauver » une jeunesse : il vise à lui rendre la parole et le pouvoir d’agir. « Je n’irai pas demander à l’État ce que l’on peut faire nous-même pour nos enfants, clame-t-il dans Le Parisien. Je veux donner aux jeunes de banlieue ce que d’autres ont eu ailleurs, et leur dire que l’excellence et l’ambition n’ont pas de frontière de code postal. »

  • Lutter contre l’auto-censure : Un constat lucide : de nombreux jeunes brillants des quartiers hésitent à postuler dans des écoles, à croire en leurs rêves, par manque de modèles ou de moyens.
  • Soutenir financièrement et psychologiquement : Lorsqu’on grandit dans un environnement où « l’échec » semble programmé, un coup de pouce n’est pas superflu. ACCES se propose de l’offrir, sans verser dans l’assistanat ou la pitié.
  • Valoriser l’engagement : Le soutien de l’association n’est jamais une fin en soi : les bénéficiaires s’engagent eux aussi, à travers des projets solidaires ou le tutorat d’autres élèves.

ACCES, comment ça marche ? Les bourses et leurs critères

L’un des dispositifs phares d’ACCES, ce sont ses bourses d’études. Chiffres à l’appui : en 2019, plus de 50 bourses ont déjà été attribuées en dix ans d’existence, pour des montant allant de 1500 à 6000 euros, en fonction du projet et de la situation du lauréat (source : Mediapart). Ce n’est pas astronomique, mais l’association privilégie la qualité à la quantité : un suivi individualisé, l’exigence dans la sélection, et une volonté d’accompagnement au long cours.

  • Critères de sélection :
    • Être bachelier ou en passe de le devenir, issu d’un milieu modeste ou d’un quartier populaire.
    • Avoir un projet d’études supérieures solide et argumenté.
    • Entretien poussé avec un jury où les membres cherchent à déceler la motivation et l’engagement personnel.
    • L’association valorise aussi les candidatures d’étudiants en situation de handicap.
  • Partenariats académiques : Formation en mentorat avec des universités ou grandes écoles (Sciences Po, HEC, plusieurs IUT). Les tuteurs bénévoles accompagnent les lauréats dans le montage de dossiers, la préparation aux oraux, l’intégration.

Le jury – où siègent à la fois enseignants, artistes, bénévoles et Kery James lui-même – mise sur le mérite et le potentiel de transformation : « Quand on attribue une bourse, on parie sur l’avenir d’un jeune qui demain aidera les suivants », explique l’association.

Impact sur la société et visibilité médiatique : ACCES, une autre voix pour la banlieue

Chaque année, la remise des bourses a lieu lors du grand concert annuel de Kery James à l’AccorArena ou à La Cigale. Un détail ? Non, un symbole. Derrière le micro, les lycéens et étudiants boursiers montent sur scène. Chacun son tour, ils lisent leur projet ou témoignent de leur parcours. Le micro change de main, la lumière aussi. Les médias relayent l’événement : France Inter a notamment consacré un reportage en 2023 à l’association, soulignant que « l’expérience ACCES fait naître une dynamique d’identité et de fierté collective chez des jeunes souvent relégués au second plan ».

Pour nombreux, ce moment public est aussi une revanche sur l’invisibilisation sociale. Parmi les anciens lauréats : Samia, étudiante en droit devenue responsable associative ; Diallo, désormais ingénieur, désormais tuteur à ACCES. Une chaîne solidaire et circulaire qui inscrit la réussite individuelle dans une logique d’engagement collectif.

L’association, le rap et la société : une démarche pionnière parmi les artistes français

Le lien entre musique et engagement social n’est ni nouveau ni l’apanage du rap. Mais il faut noter que peu d’artistes en France ont institutionnalisé leur démarche comme Kery James avec ACCES. Tandis que nombre de rappeurs multiplient les déclarations ou les gestes ponctuels, ici, l’engagement s’est structuré, professionnalisé et s’inscrit dans la durée. Des parallèles existent pourtant : la fondation « Espoir Banlieues » de Mokobé, ou le fonds « Anis Gras » de Médine, mais aucune n’a réussi à fédérer un tel lien direct entre public, éducation et débat citoyen.

Entre symbolique et pragmatisme : les défis et limites d’ACCES

Bien sûr, tout n’est pas simple pour ACCES : le nombre de bourses reste modeste face à la demande, et l’association fonctionne quasi exclusivement sur les fonds générés par les concerts et ventes de disques de Kery James. Sans subventions majeures, chaque édition de bourse dépend de la réussite des projets artistiques. C’est à la fois la force (l’indépendance) et la faiblesse (la dépendance au succès) de l’association.

Autre limite, reconnue par Kery James lui-même : par son format très personnalisé, ACCES ne « réforme pas le système », mais montre que la transformation individuelle peut changer la donne – du moins, au niveau de l’exemple et du relais.

L’horizon d’ACCES : vers une généralisation, ou un engagement d’exception ?

Kery James n’imagine pas ACCES comme une initiative isolée, mais comme une graine à planter dans toutes les têtes : « Si chaque artiste ou citoyen décidait de parrainer un jeune, ce serait déjà une révolution silencieuse », répétait-il sur France Culture en 2022. Rêve pieux ou nouveau modèle ? En 2024, l’association veut renforcer ses partenariats, décupler le mentorat, mieux mesurer l’impact de ses bénéficiaires sur le long terme. Ce qui persiste, au-delà des chiffres, c’est la puissance d’un geste : pas seulement adresser des mots sur une scène, mais adresser une main vers l’avenir. ACCES incarne la conviction de Kery James qu’il n’existe pas de fatalité, seulement des parcours à réinventer.

Sources : Mediapart, Le Monde, France Inter, Le Parisien, France Culture, site officiel de Kery James.

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