• Comment l'engagement religieux de Kery James a modelé son identité artistique et personnelle

    23 mai 2025

De Christian à Muslim : le tournant spirituel

Avant de devenir le Kery James que nous connaissons aujourd’hui, Alix Mathurin, de son vrai nom, a grandi en Île-de-France, partagé entre une enfance catholique et une adolescence en quête de repères. Né aux Abymes (Guadeloupe) en 1977, il s’installe dès l’enfance en métropole avec sa mère. À l’aube de son adolescence, il rencontre le microcosme du rap français à Orly, où naît sa carrière avec le collectif Idéal J. Avec des influences typiques de l’époque pour les jeunes des quartiers populaires — street culture, rébellions sociales et recherche d’identité — le jeune Alix bascule dans une quête spirituelle qui le mènera à l’islam à l’âge de 16 ans.

C’est à travers l’islam que Kery James trouve des réponses aux questions qui le taraudent, mais aussi une discipline qui façonnera son quotidien et sa vision du monde. Dans une interview pour France Inter en 2018, Kery expliquait : « L’islam est un code moral et éthique qui m’a permis de me structurer et de grandir en paix avec moi-même. » Cette conversion ne fut pas un simple acte spirituel : elle impacta profondément son art, changeant la manière dont il écrivait et s’exprimait.

Une empreinte musicale marquée par la foi

Dans la discographie de Kery James, l’islam apparaît souvent en filigrane, non pas sous forme de prosélytisme, mais comme une inspiration et une boussole morale. Si des morceaux comme 28 décembre 1977 ou encore Monntre-homme n’abordent pas explicitement sa foi, ils en portent les empreintes : introspection, élévation de l’esprit et quête de justice pour les opprimés.

Un des morceaux les plus emblématiques de cette dimension religieuse reste Réel (2009), où il dénonce sans détours les dérives matérialistes et la vacuité spirituelle d’une partie du monde contemporain. La ligne « Vous êtes aveugles, fous à lier, voici la voie d’Allah, je ne cesserai d’éclairer » n’est pas qu’un clin d'œil explicite à sa religion, c’est un cri de revendication pour une vie en cohérence avec des valeurs plus grandes que soi-même.

Mais loin de se contenter d'incorporer sa foi dans ses textes, Kery James prêche également par l’exemple dans sa manière de mener sa carrière. Il refuse régulièrement des engagements qui pourraient contredire ses principes. Par exemple, pendant des années, il a refusé d’apparaître dans des festivals ou des événements sponsorisés par des marques d’alcool ou du tabac. Kery James s’est toujours efforcé de pratiquer un art en cohérence avec les valeurs qu’il promeut.

Des textes en résonance avec des thématiques universelles

Avec sa vision islamique, Kery James dépasse le cadre du religieux pour aborder des sujets universels : la justice, l’éducation, l’égalité des chances ou encore les conflits intérieurs de l’homme face à lui-même. Dans un monde où l’individualisme prend une place prédominante, il renverse la tendance en insistant sur l’importance du collectif et de la solidarité.

Dans Lettre à la République (2012), sans mentionner directement sa foi, il mobilise des références qui rappellent une posture de croyant : six minutes pour interroger les contradictions de la société française sur les enjeux de racisme et d’intégration. Cet engagement politique, sans obsession pour le dogme religieux à proprement parler, montre que son islamité vient renforcer un humanisme déjà omniprésent dans sa vision du monde.

Par ailleurs, dans un morceau comme Banlieusards, il insiste sur la responsabilité personnelle et collective, un principe souvent valorisé dans l’islam. L’artiste a souvent expliqué que sa foi n’est pas un « poids moral », mais bien un renforcement d’une posture intellectuelle où chacun doit aspirer à être une meilleure version de soi-même.

Les controverses et la résilience

Ce positionnement religieux n’a pas seulement façonné son identité, il a aussi fait de Kery James une figure sujette à la critique. Dans une société où le mélange entre islam et espace public reste un sujet épineux, beaucoup ont vu dans ses prises de position une forme de prosélytisme déguisé. En 2001, après les attentats du 11 septembre, il est pris à partie dans les médias et certains commentateurs l’accusent de soutenir implicitement le fondamentalisme religieux.

Face à ces attaques, Kery répond avec dignité et conviction, notamment en produisant des morceaux où il clarifie sa vision de la foi comme un vecteur de paix et de discipline. Dans une interview pour Le Parisien, il expliquait : « Mon islam, c’est celui qui tend la main à ceux qui souffrent et qui prône le respect envers autrui. Ce n’est pas celui de la haine. »

Là où d’autres artistes auraient pu plier sous la pression, Kery a utilisé les controverses pour approfondir son art, se positionnant comme un pont entre différentes incompréhensions culturelles. Cette résilience est le fruit d’une foi assumée et pratiquée, mais aussi d’une grande intelligence émotionnelle et artistique.

Kery James, une identité plurielle

L’engagement religieux de Kery James ne peut être dissocié ni de son art ni de sa personne. Mais il est important de ne pas le réduire à « l’artiste musulman » : il est avant tout une voix plurielle, nourrie par ses luttes personnelles, ses expériences sociales et son esprit critique. Sa foi, loin de limiter ses horizons, les a ouverts, permettant à sa plume de s’aventurer là où beaucoup d’autres ont hésité à s’aventurer.

Au final, l’islam n’a pas été pour Kery James qu’une source d’inspiration. Il a été un cadre structurant, un lent travail d’alignement entre ses valeurs et son quotidien. En cela, il a su fédérer au-delà des croyances, en rappelant que ce qui compte réellement, ce sont les actes. Pour reprendre ses mots : « Être croyant, ce n’est pas se contenter de prier dans son coin, c’est agir, c’est aimer, c’est construire. »

À l’heure où le rap devient parfois un outil de glorification de l’ego et de la matérialité, Kery James montre qu’une autre voie est possible : celle où l’on marche au rythme de ses convictions, quelles qu’elles soient. Une leçon d’authenticité dont on ferait bien de s’inspirer, croyant ou pas.

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