• Kery James et l’association ACCES : La transmission comme acte fondamental

    27 septembre 2025

De la scène à la société : la continuité d’un engagement

La trajectoire de Kery James n’a jamais cessé de jeter des ponts : entre les générations, entre le rap et la littérature, entre la marge et la République. Ceux qui connaissent sa discographie savent combien la question de la transmission, omniprésente dans ses textes, a pris une forme à la fois intime et rageuse, toujours soucieuse d’ouvrir des brèches là où l’on érige des murs.

Avec l’association ACCES (Aide aux Concours et Création d’Evénements Solidaires) fondée en 2008, cet engagement se concrétise dans le réel. Pour comprendre comment ACCES incarne la vision de la transmission à la manière de Kery James, il faut dès lors sortir du strict cadre artistique pour sonder les rouages d’une organisation qui fait de la réussite collective, loin des projecteurs, un acte de résistance quotidienne.

ACCES : La genèse d’un projet pour la jeunesse des quartiers

ACCES naît d’un double constat : le manque cruel de ressources pour les étudiants issus des quartiers populaires et la quasi-absence de visibilité des parcours d’excellence issus de ces mêmes territoires. À l’origine du projet, Kery James n’est pas seul : il s’entoure de juristes, d’enseignants, d’intellectuels, qui partagent ce désir de promouvoir une autre image des banlieues.

L’association se donne pour objectif de soutenir les jeunes des quartiers dans la préparation des concours aux grandes écoles, ainsi que de financer des initiatives solidaires. La transmission, ici, se joue d’abord dans l’accès au savoir, en pillant les verrous sociaux plutôt qu’en les contournant.

  • Fondation : 2008, impulsée par Kery James
  • Mission principale : Accès à l’enseignement supérieur par le biais de bourses et d’accompagnements spécifiques
  • Public touché : Lycéens, étudiants, familles issues des quartiers prioritaires

Du discours à l’action : Quand la transmission devient acte

Si les médias évoquent volontiers la générosité du rappeur, ils passent souvent à côté de l’architecture précise de l’action menée par ACCES. Or, tout dans l’association porte l’empreinte d’une vision forgée dans la chanson “Banlieusards” (2008) : “On n’est pas condamné à l’échec”. Mais comment cette injonction se traduit-elle concrètement ?

Les bourses ACCES : Investir pour lever les blocages

Chaque année, une partie des recettes des concerts de Kery James—en particulier ceux du projet “Banlieusards”— est reversée au financement de bourses. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : de 2014 à 2023, plus de 300 000 euros ont déjà été distribués sous forme d’aides financières à des jeunes (source : Le Monde, 2022).

  • Bourses octroyées selon le projet de l’étudiant (études en droit, médecine, ingénierie, lettres...)
  • Accompagnement personnalisé avec des jurys de sélection composés de professionnels et d’enseignants
  • Transparence sur les versements, qui sont parfois médiatisés pour inspirer d’autres mécènes

Cette organisation rappelle la pédagogie de l’exemple chère à Kery James : reconnaître l’effort, encourager le travail, donner une scène à celles et ceux qui, d’ordinaire, n’en ont pas.

L’accompagnement : Bien plus qu’un simple coup de pouce financier

Le véritable apport de l’ACCES ne se limite pas à l’argent. Les lauréats bénéficient d’un suivi : tutorat par des anciens boursiers, ateliers de méthodologie, préparation aux entretiens des concours. Le collectif créé par l’association fonctionne comme un cercle vertueux : la réussite de l’un devient une ressource pour les suivants.

Selon une enquête menée par l’association elle-même sur les promotions 2018-2022, 87% des boursiers ont poursuivi des études supérieures longue durée. Un taux bien supérieur à la moyenne des quartiers prioritaires (INSEE, étude 2021).

Quand les mots rencontrent les actes : cohérence et sincérité

Derrière ces actions résonnent toutes les obsessions du poète : l’envie de transmettre, la croyance dans l’égalité des chances, la volonté de transformer l’indignation en solutions concrètes. On retrouve dans ACCES le même lyrisme ancré dans la réalité qui fait la singularité de l’écriture de Kery James.

Cette démarche n’est pas isolée. Plusieurs rappeurs français – Oxmo Puccino avec son engagement sur la lecture publique, Médine sur le terrain de l’éducation populaire – illustrent à quel point la scène rap hexagonale se fait aussi l’écho de causes concrètes. Mais, avec ACCES, Kery James garde une longueur d’avance par la densité et la rigueur du projet.

Un modèle de transmission à contre-courant

Dans une époque où le mot “transmission” se vide parfois de son sens, ACCES lui redonne chair à travers trois dynamiques :

  1. Transmission matérielle : L’argent n’est pas tabou, il est ici un instrument d’émancipation, non de dépendance.
  2. Transmission symbolique : Récompenser le mérite là où tant de discours nient la légitimité du rêve.
  3. Transmission communautaire : Construire des ponts entre anciens et nouveaux lauréats afin de pérenniser l’impact.

ACCES devient alors plus qu’un mot : un processus, à la fois ancré dans l’urgence et dans la durée. En cela, la structure s’oppose à la logique du “one shot” caritatif, et s’attache à installer une dynamique profonde, transmissible, réplicable.

Impact : chiffres et visages derrière l’initiative

Si l’on cherche à mesurer l’impact réel d’ACCES, il suffit de s’attarder sur quelques chiffres-clés :

  • Plus de 1 000 candidatures reçues chaque année pour moins de 30 bourses attribuées, reflet d’un besoin colossal mais aussi d’une sélectivité garante de sérieux
  • Une diversité de profils : 60% des bénéficiaires sont des femmes (chiffres 2020-2022), dans des filières d’excellence souvent peu représentées par la jeunesse des quartiers
  • Un fort effet d’entraînement : plusieurs lauréats reviennent comme mentors ou investissent à leur tour dans l’association (témoignages recueillis par France Inter, 2021)

Au fil du temps, ACCES a aussi forgé un imaginaire collectif – en témoigne le succès du film “Banlieusards” sur Netflix, co-scénarisé par Kery James, qui met en scène des parcours brisés et résilients, prolongeant à l’écran l’esprit de l’association.

L’avenir d’ACCES : entre transmission et enracinement

En 2024, l’association travaille à multiplier les conventions avec des lycées, mais aussi à élargir le dispositif des bourses aux filières techniques et aux nouvelles formations de l’économie numérique (Source : Le Parisien, avril 2024).

  • Objectif annoncé : doubler le nombre de bénéficiaires à l’horizon 2026
  • Lancement d’une plateforme numérique pour permettre à chaque candidat d’accéder à tous les tutoriels, ressources et réseaux d’anciens
  • Développement de partenariats internationaux avec l’Afrique francophone, extension naturelle de la notion de transmission déterritorialisée

Ici encore, la vision de Kery James fait écho à celle d’autres intellectuels issus du terrain (Maboula Soumahoro, Rokhaya Diallo), qui rappellent que la transmission est une affaire d’institutions, mais aussi de gestes, de mots incarnés, de références réappropriées.

Résonances : une transmission contagieuse

Transmettre, pour Kery James, ce n’est pas enseigner un dogme, mais donner à voir les possibles. ACCES assume son rôle double : réparer une inégalité criante, et raconter une autre histoire commune. Un modèle pour le hip-hop français, et au-delà, pour une société qui peine à croire à l’ascenseur social.

L’association n’est ni une agence de charité ni un outil de communication. Elle insuffle, malgré la modestie de ses moyens face à l’immensité des besoins, un élan lucide dans cette France fracturée. Chez Kery James, la transmission n’est jamais une fin en soi, mais une invitation, une question toujours ouverte, tendue comme un beat qui jamais ne s’éteint.

Pour ceux qui cherchent dans le rap autre chose qu’un miroir, ACCES rappelle, à la manière d’un refrain obsédant, que la transmission est un art – et une urgence politique.

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