• Derrière les rimes : Kery James, ambassadeur de la réussite éducative dans les quartiers populaires

    19 septembre 2025

Éduquer pour s’émanciper : un credo gravé dans les textes

Impossible d’aborder Kery James sans entendre résonner la notion d’ascension par le savoir. Dès ses premiers textes, la question de la réussite éducative transcende le cadre du récit autobiographique. Elle devient motif universel, cri collectif. Dans “Banlieusards” – sommet de son engagement – il martèle : « On n’est pas condamné à l’échec, ni à finir dealer », avant de louer dans le refrain ceux qui “portent la cravate” et obtiennent “leur bac”. Le chemin tracé par l’éducation, souvent semé d’obstacles, se transforme sous sa plume en un possible, une alternative à la fatalité.

Ce regard, nourri par l’expérience personnelle – il grandit à Orly, au cœur de la cité – s’alimente aussi d’une conscience de classe et d’une lucidité sur les mécanismes systémiques. La France Inter rappelait récemment que Kery James s’est vu exclu de plusieurs établissements scolaires, “subissant de plein fouet la relégation sociale”. Or, c’est précisément ce vécu, mêlé à une soif de justice, qui façonne chez lui une vision puissante de l’école : celle d’un espace de lutte, où l’on “apprend à être libre” et à combattre les déterminismes.

Kery James, du micro à la scène : transmettre et inspirer

Mais l’engagement n’est pas que discursif : il se prolonge par des actions concrètes. En créant le concert “Banlieusards Show” dès 2016, Kery James pose la première pierre d’un vaste projet qui dépasse la musique : les bénéfices de ces événements servent à financer des bourses d’études pour des jeunes issus des quartiers. Au fil des éditions, plus de 150 000 euros ont été collectés, selon France Info – une somme qui, rapportée au silence habituel du système, résonne comme un coup de poing.

Ce Fonds d’aide – géré par l’association ACES (Apprendre, Comprendre, Entreprendre et Servir) – a ainsi permis à des dizaines de bacheliers de financer leur loyer, leurs frais de scolarité, élargissant le champ des possibles souvent sabordé par les barrières matérielles. Le projet, encore trop peu relayé dans les médias généralistes, s’inscrit dans une tradition : celle du “give back”, héritée du rap US, mais teintée d’une exigence de discrétion toute francilienne.

  • 150 000€ récoltés entre 2016 et 2023
  • Plus de 65 jeunes accompagnés directement par ACES
  • Priorité donnée aux filières longues et ambition professionnelle
  • Suppression de critères de sélection fondés sur l’origine géographique pure pour se concentrer sur la motivation, la résilience et la progression

Là où bien des discours restent incantatoires, Kery James privilégie la transmission et l’exemple. Son passage régulier dans les établissements scolaires – collèges, lycées, universités – est, là encore, moins médiatique que ceux d’autres figures. Pourtant, pour les élèves de Créteil ou de Bobigny, il s’agit de moments fondateurs : “avoir la visite de Kery James, c’est entendre qu’on peut s’en sortir sans tricher”, souffle un proviseur dans Libération.

L’éducation comme résistance : entre politique et poésie

Ce que nombre d’analystes ont parfois du mal à saisir, c’est la façon dont Kery James mêle le combat éducatif à une lecture politique affûtée. Dans “Lettre à la République”, il accuse : “On croit qu’on est des délinquants, c’est pour ça qu’on ne lit plus”. Ici, l’éducation dépasse l’apprentissage scolaire. Elle se fait conscientisation, résistance aux stéréotypes, au racisme intégré, à l’invisibilité sociale.

Ce discours s’inscrit dans une tradition du rap conscient français, mais avec une singularité : Kery James refuse l’opposition binaire entre “savoir académique” et “connaissance des rues”. Il aborde souvent la question de la lecture, de l’accès à la philosophie, à l’histoire, comme armes ultimes. Dans de multiples interviews, il cite Paulo Freire, Frantz Fanon ou Aimé Césaire, attachant la réussite éducative à une histoire de décolonisation des esprits.

À l’heure où 20% des jeunes des quartiers populaires quittent l’école sans diplôme (chiffres INSEE 2021), le message de Kery James s’oppose radicalement à la stigmatisation médiatique. Il ne dépeint pas la “banlieue” comme un vivier de défaillants, mais au contraire comme un réservoir de talents. Aux slogans du “mérite républicain”, il préfère une vérité plus rugueuse : la trajectoire d’un jeune dépend aussi de son environnement. Encore faut-il que le système éducatif cesse d’entretenir ses propres fractures.

  • Le taux de chômage des 15-29 ans dans les quartiers prioritaires atteint 28% (Observatoire National de la Politique de la Ville, 2023)
  • 40% des bacheliers des quartiers populaires n’obtiennent pas de Licence en 3 ans à l’université (source : Ministère de l’Enseignement supérieur)

Kery James, en révélant ces chiffres et ces réalités dans ses textes, offre une parole rarement entendue ailleurs. On se souvient de sa tribune au “Monde”, en 2017, dans laquelle il plaidait : “Tant que l’excellence sera perçue comme étrangère à nos quartiers, le système sera perdant”.

Des modèles à (re)construire : la figure du “Banlieusard exemplaire”

Une force du message de Kery James : la mise à l’honneur de modèles alternatifs. À contre-courant du récit habituel “foot ou rap”, il multiplie dans ses textes les références à des jeunes devenus professeurs, ingénieurs, avocats, sans jamais les opposer à la culture du quartier. Il revendique la possibilité de rester soi-même, de ne pas abandonner “le tieks”, tout en s’extrayant du déterminisme social.

Dans son dernier album “J’rap encore”, le morceau “1984… Ça ira mieux demain” s’ouvre sur ces mots : “J’ai vu des frères tomber, mais aussi en voir d’autres s’élever”. La réussite éducative y prend sens dans l’idée de transmission. Une réussite pluraliste : il ne s’agit pas de quitter son quartier pour réussir, mais d’emmener les siens avec soi, de servir d’exemple.

  • Invitations régulières de personnalités issues des quartiers dans ses clips et sur scène
  • Partenariats avec des associations éducatives comme AFEV ou Prométhée Éducation
  • Mise en avant d’initiatives citoyennes dans ses interviews, loin des projecteurs

À travers ses choix artistiques, Kery James montre ainsi que la réussite éducative n’est pas qu’individuelle ; elle devient l’affaire d’un collectif, d’une génération qui refuse l’assignation à résidence sociale.

Rap, film, théâtre : quand l’engagement dépasse les frontières de la musique

Signe de la radicalité de son propos : Kery James refuse que la réussite éducative reste une question de niche. Son film “Banlieusards”, co-réalisé avec Leïla Sy et sorti sur Netflix en 2019, touche un public bien au-delà du rap. À travers le destin de trois frères (l’un étudiant en droit, l’autre tentant de s’en sortir par des petits larcins, le troisième prisonnier du règlement de comptes), le film expose la complexité de l’ascension sociale lorsque chaque choix est marqué par la violence du système.

Ce projet participe à une évolution dans l’image des jeunes des quartiers : loin du déterminisme, il met en lumière la polyphonie des possibles. Le film a été vu par plus de 2,6 millions de foyers sur Netflix France selon Midi Libre – un chiffre qui rappelle que la représentation positive, même imparfaite, résonne fort.

  • Banlieusards Show: des spectacles mêlant rap, théâtre, débats avec des lycéens et étudiants de Saint-Denis, Nanterre, Lyon
  • Pièces montées dans les lycées en collaboration avec la troupe du Comédie de Montpellier
  • Banlieusards sur Netflix : top 10 France à sa sortie

Ces initiatives contribuent à ce que la réussite éducative soit présentée comme un chemin, avec ses détours, ses ruptures, son courage. On n’est pas “un génie malgré le contexte” mais grâce à la force collective qui anime le quartier tout entier.

Ouvrir les possibles – transmettre, sans relâche, la flamme

Kery James apparaît, au fil des ans, comme l’un de ceux qui ont contribué à substituer à l’idée d’exceptionnalité celle d’une éducation partagée, accessible, désirable. À rebours du mythe du “self made man” individualiste, il milite pour une ascension qui ne se fait pas “contre” mais “avec” le quartier, la famille, la communauté.

Son engagement constant, mêlant action concrète et discours émancipateur, bouscule les représentations, offrant aux plus jeunes des quartiers populaires la conviction profonde que réussir par l’éducation ne signifie pas renoncer à ses racines, mais bien, parfois, leur offrir de nouvelles branches.

À l’heure où la réussite éducative reste un défi colossal dans de nombreux territoires, l’écho de Kery James sonne comme un espoir lucide, une route balisée d’obstacles mais aussi de possibles. Que ses textes, ses initiatives et l’exemple de celles et ceux qui lui ressemblent continuent d’ouvrir d’autres chemins, à rebours des discours de résignation.

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