• Kery James, éducation et justice sociale : immersion dans l’accompagnement des jeunes par ACCES

    2 novembre 2025

De la rime à l’engagement : quand l’artiste devient acteur de terrain

La trajectoire de Kery James est jalonnée de mots et d’actes qui, loin de s’opposer, se prolongent en écho. Si sa voix a percuté la sphère publique sur des instrus marqués par la rigueur et le refus des compromis, c’est son œuvre en dehors des studios – notamment à travers l’association ACCES (Acte Citoyen pour l’Éducation et la Scolarité) – qui donne, aujourd’hui, une dimension supplémentaire à son combat. En posant un geste concret, l’artiste bouscule une question centrale de notre société : la justice éducative.

Né en 2014, le projet ACCES s’ancre sur le terrain, là où la précarité et l’assignation à résidence sociale semblent parfois étouffer les ambitions. Mais que change réellement l’engagement de Kery James et du dispositif ACCES dans la vie des jeunes issus de milieux populaires ?

L’association ACCES, reflet d’un engagement longuement mûri

Le lien entre Kery James et l’éducation n’a rien d’artificiel. Depuis ses prises de parole dans “Banlieusards”, “Lettre à la République” ou “Douleur Ébène”, se dessine l’obsession d’arracher à la fatalité un avenir singulier pour chaque jeune. Mais la force d’ACCES réside dans sa méthode : dépasser l’incantation pour intervenir au niveau structurel et individuel.

  • Création : ACCES a été fondée en 2014 à l’initiative de Kery James, conscient des inégalités scolaires persistantes dans les quartiers populaires (Le Monde, 2018).
  • Public ciblé : L’association accompagne principalement des lycéens et étudiant.e.s boursier.es souhaitant poursuivre des études supérieures.
  • Mission : Fournir un soutien financier, un mentorat, et mettre en place des actions collectives pour lutter contre le décrochage scolaire.

La singularité d’ACCES réside dans sa capacité à impliquer le monde artistique et sportif pour lever des fonds. Les “Concerts Solidaires” organisés depuis 2015 réunissent sur scène Soprano, Oxmo Puccino, Redouane Harjane, entre autres – chaque billet acheté se transforme en bourse scolaire versée à des jeunes sélectionné.e.s (Libération, 2019).

Chiffres clés : une action qui prend, un impact qui grandit

  • Près de 110 000 euros récoltés en cinq éditions de concerts solidaires entre 2015 et 2020, reversés sous forme de bourses à des étudiant·e·s méritant·e·s (Kery James/ACCES, entretien Le Parisien, 2021).
  • Plus de 70 jeunes accompagnés via le mentorat depuis 2014, avec un taux de poursuite d’études post-bac supérieur à 90% parmi les lauréats ACCES (France Inter, 2020).
  • Un effet multiplicateur : en 2023, chaque euro investi dans une bourse a généré près de 2 euros de projets d’études financés en retour par les lauréats eux-mêmes - le fameux “effet d’ascenseur social solidaire” (Rapports ACCES, 2023).

La bourse ACCES : un levier matériel, mais aussi symbolique

L’aide financière est l’incarnation la plus concrète de l’action de Kery James. Les bourses, pouvant aller jusqu’à 3 000 euros par an, couvrent frais d’inscription, fournitures, déplacements, parfois logement. Mais le dispositif est avant tout pensé comme une manière de restaurer la dignité éducative, trop souvent malmenée par le manque de moyens.

  • Critères d’attribution : Au-delà de la condition de boursier, la sélection repose sur le mérite académique, la motivation, la clarté du projet d’études et l’engagement dans la vie associative ou citoyenne.
  • Un suivi individualisé : Chaque lauréat.e bénéficie d’un mentorat régulier, d’entretiens personnalisés et d’une communauté solidaire prête à ouvrir des portes sur le monde professionnel.

À contre-courant d’un certain misérabilisme, ACCES refuse la posture de charité. Comme le déclare Kery James lors du concert de 2018 : « Donnez l’opportunité à ces jeunes d’aller à la fac, ils n’ont besoin que d’une chance » (source : Kery James lors du Concert Solidaire 2018, retranscription France Culture, 2018).

Mentorat, transmission : l’humain avant tout

Chez ACCES, le don financier n’est jamais un acte isolé. Il se double d’un accompagnement humain visant à lutter contre le sentiment d’illégitimité. Les jeunes admis dans le programme sont mis en relation avec des mentors bénévoles : anciens boursiers, professionnels conscients du jeu social, militants de l’égalité des chances. La solidarité s’incarne de façon concrète.

  • Ateliers collectifs : préparation aux oraux, rédaction de CV, simulations d’entretien, gestion du stress.
  • Visites et immersions : découverte d’universités, d’entreprises, relations avec des figures inspirantes dont l’histoire fait écho à celle des jeunes suivis (par exemple des anciens lauréats devenus ingénieurs, juristes, musiciens).
  • Effet boule de neige : la majorité des lauréats s’engagent à leur tour comme parrains/marraines pour les plus jeunes (ACCES, rapport 2023).

Le mentorat n’est jamais “paternaliste”. Il s’agit d’ouvrir des champs de possibles, d’amoindrir la “violence symbolique” dénoncée par Bourdieu, et de transmettre : codes, confiance, stratégies pour déjouer le déterminisme.

L’engagement comme catalyseur de mobilisation collective

Le dispositif ACCES est une plateforme de dialogues et d’actions collectives. Les Concerts Solidaires ne sont pas seulement un outil de collecte de fonds. Ce sont aussi des lieux de reconquête de la fierté, où la réussite de jeunes méritants est acclamée devant 2000 personnes, où le rap social devient vecteur d’exemplarité.

  • Table ronde sur les inégalités éducatives animée après chaque concert, avec des invités (enseignants, chefs d’entreprises, acteurs associatifs, artistes).
  • Visibilité offerte aux lauréats sur scène : remise des bourses devant le public, témoignages, prises de parole fortes (Revue “Respect”, 2019).
  • Production de contenus pédagogiques : mini-vidéos, podcasts mêlant extraits de morceaux de Kery James et témoignages concrets, diffusés dans les lycées partenaires.

Kery James : une figure d’identification complexe

À l’heure où de nombreux artistes “s’engagent” par des hashtags, la démarche de Kery James s’inscrit dans une profondeur rare. Son statut de figure d’identification, pour beaucoup de jeunes, n’est pas sans paradoxe :

  • Il assume la complexité d’un parcours souvent cabossé : orphelin d’un père, déménagé plusieurs fois, condamné à la précarité (Kery James, “Banlieusards”, Film, Netflix, 2019).
  • Il est passé de l’écriture de morceaux incendiaires à la construction patiente de solutions concrètes.
  • À rebours d’un certain récit victimaire, il répète l’importance de la responsabilité individuelle – « On n’est pas condamné d’avance. »

Kery James incarne ainsi la tension entre enracinement dans les réalités sociales et refus de l’assignation. L’action d’ACCES s’en ressent : incitation permanente à dépasser les statuts d’attente, de fatalité ou d’“élève en difficulté”.

Rap, dignité, ascenseur social : l’épreuve du réel

Par sa dimension collective et sa constance, ACCES questionne le rôle des artistes dans l’espace public : simple “porte-voix” ou acteur du changement ? À l’heure des débats sur le désengagement de l’État et la place du rap dans la cité, la démarche de Kery James trouble les lignes.

  • L’association fait levier sur la notoriété du rappeur pour attirer bénévoles et ressources.
  • Elle institutionnalise la solidarité par un ancrage dans les dispositifs éducatifs locaux (lycées partenaires dans le Val-de-Marne, l’Essonne, la Seine-Saint-Denis).
  • En 2021, deux anciens lauréats d’ACCES ont créé à leur tour une association d’accompagnement scolaire dans leur ville d’origine (source : Le Parisien, juillet 2022).

Ce modèle d’action pourrait bien réinventer la façon dont le rap français participe à une justice scolaire concrète, loin de la simple protestation verbale. Et si le courage d’un versement, la sincérité d’un concert ou le conseil d’un mentor valaient autant qu’un manifeste ? Au cœur du dispositif ACCES, la réponse s’expérimente chaque jour, à hauteur d’élève, à portée de main.

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